CAROLLE BÉNITAH
BIOGRAPHIE
BIOGRAPHY
Carolle Bénitah est née à Casablanca (Maroc) en 1965, elle vit et travaille à Marseille (France).
Diplômée de l’Ecole de la Chambre Syndicale de la Couture Parisienne (Paris, France), carolle bénitah a été styliste de mode durant dix ans avant de se consacrer à la photographie en 2001.
Diplômée de l’École Nationale Supérieure de la Photographie (ENSP) d’Arles avec félicitations.
Les travaux de Carolle Bénitah ont été publiés dans des magazines tels que Leica World, Shots Magazine, Photos Nouvelles, Spot, Center for Photography Houston, Foto Noviny et Lens Culture, entre autres.
Sa série Photos-Souvenirs a également été sélectionnée pour être exposée dans le cadre de FotoFest 2014, la vitrine « Discoveries of the Meeting Place », qui présente les revues de portfolios des précédentes biennales.
Carolle Bénitah was born in Casablanca (Morocco) in 1965, she lives and works in Marseille (France).
Graduated from Ecole de la Chambre Syndicale de la Couture Parisienne, Paris, France (promotion 1991). For ten years thereafter she worked as a fashion designer.
She decided to learn photography in 2001.
She graduated from Ecole Nationale Supérieure de la Photographie in Arles, France, with the congratulations of the Jury in 2015.
The work of Carolle Bénitah has been published in magazines such as Leica World, Shots Magazine, Photos Nouvelles, Spot, Center for Photography Houston, Foto Noviny, and Lens Culture, among others.
Her series Photos-Souvenirs was also selected to exhibit in FotoFest’s 2014 Discoveries of the Meeting Place showcase of past Biennial portfolio reviews.
LA VIE DES AUTRES
« Qui laisse une trace laisse une plaie » H. Michaux
« La vie n’est jamais belle ; seules les images de la vie sont belles » A. Schopenhauer
Mon travail photographique est intimement lié à la famille et au temps qui passe. Dans la majeure partie de mes travaux depuis 2002, je développe un travail sur les liens filiaux, le désir, la perte, le deuil et l’enfermement des femmes. À partir de 2009, j’ai commencé un travail de réappropriation sur mes archives familiales à l’aide d’interventions telles que la broderie, le dessin ou encore l’écriture.
Le projet La vie des autres est un travail de réflexion sur mon rapport à la photographie, la mémoire, le statut des images et la réappropriation de ces dernières. Les clichés que j’utilise sont essentiellement issus d’albums de familles inconnues que j’achète dans des brocantes.
La vie des autres s’inspire de ma précédente série Photos Souvenirs dans laquelle j’explore la mémoire de mon enfance et je la reconstruis à l’aide de la broderie. Cette fois-ci, je vais utiliser des photographies achetées dans une brocante à Jaffa en Israël et l’exploration de ces documents – datant entre les années 1940 et 1970- disent qu’elles proviennent de Lodz, Munich, Izmir ou encore Sofia. Des photographies que des immigrés ont transportées avec eux dans leur valise jusqu’à la terre promise, tels des talismans, et qui se retrouvent aujourd’hui en ma possession. Des gens qui ont quitté leurs pays pour trouver un foyer accueillant et avec eux dans leurs bagages, les photographies de famille.
Cela coïncide bien souvent avec le désir de conserver la présence de personnes ou de moments importants, le besoin de matérialité qu’éprouve l’homme à laisser une empreinte de lui-même sur terre et qui lui survivra. Des traces qui ne peuvent pas être abandonnées sur « le champ de bataille ».
Ces photographies réveillent une histoire commune, celle de l’immigration et de la recherche du foyer.
Comme eux, j’ai quitté mon pays de naissance pour aller vivre ailleurs espérant une vie meilleure. Je me suis installée dans le pays de la liberté et de l’égalité. Et cela renvoie encore plus vivement à une actualité brulante depuis plusieurs années maintenant en Europe : la crise des migrants, ces hommes, femmes et enfants qui fuient leur pays en guerre.
Le titre de ce projet est repris du film allemand « La vie des autres » du réalisateur Florian Henckel Von Donnersmarck et qui parle du contrôle politique et idéologique exercé par les autorités de le RDA sur sa propre population avant la chute du mur de Berlin.
Je m’identifie à l’agent inquisiteur de la STASI qui recherche des indices d’une faute sur les documents et comme lui, je vais donner une autre lecture de l’histoire. Je vais me réapproprier ces documents visuels parce que mon intérêt est que ces photos ne finissent pas à la poubelle. Les photos de famille réactivent en moi un sentiment de perte et de déjà-vu que je voudrais sauver de l’oubli et d’une seconde mort.
Walter Benjamin démontre comment la reproduction technique de l’image, en permettant sa circulation massive, va introduire un changement majeur dans cette fonction de l’image. Alors qu’elle répondait à la fonction de combler une absence ou d’incarner un corps qui n’est pas présent, la reproductibilité technique va modifier cette fonction et peu à peu une espèce de vacuité de l’image s’installe. Elle cesse d’incarner qui que ce soit et devient vide de présence ainsi que de sens. C’est la perte de son aura. Les images deviennent égales.
Il y a dans mon travail de réappropriation une volonté de faire renaitre la photographie, la remettre en mouvement.
Pour redonner une singularité, une spécificité à ces images, je vais appliquer un motif décoratif largement inspiré des papiers peints de l’époque sur le fond de la photographie, en prenant bien soin de détacher les personnages, comme des acteurs essentiels à cette histoire. Habituellement, lorsque je veux broder un tirage, je commence par percer le motif sur le tirage pour définir les contours à broder. Ici, je ne vais pas relier les points avec mon fil. Ces petits trous dans le papier sont des cicatrices mais aussi des éclats de lumière qui apportent l’espoir.
Je vois dans l’invention de la photographie et celle du papier peint des similitudes et c’est pourquoi je tente de les rapprocher ici. Le papier peint est une invention pour aristocrates et nantis. Au départ, son coût de fabrication était si élevé que seule une classe sociale privilégiée pouvait se l’offrir. Tout comme la photographie.
Le temps de travail de points de perçage préparatoires pour la broderie sur la photographie -long et fastidieux- est pour moi la métaphore de construction de soi, des épreuves à surmonter dans la vie, et du temps qu’il faut pour réaliser « le rêve d’obtenir un intérieur accueillant avec du papier peint ».
Je transforme la vie des autres avec une multitude de petits trous pour redonner une existence à ces personnes oubliées, vouées à la disparition.
Mon idée est de créer des objets photographiques à partir des images percées. Les trous et la lumière qui transpercent les photos modifient la perception de l’image et les transforme en quelque chose de plus poétique et joyeux.
Il me semble essentiel aujourd’hui de mettre en résonance ce projet avec une actualité brulante en Europe depuis quelques années et de parler des réfugiés qui traversent la mer Méditerranée pour fuir les conflits. Une photo de réfugiés transformée par Photoshop est insérée à l’arrière et libère des bulles de couleurs.
J’établis un dialogue entre ces migrants –qu’ils traversent l’Europe vers l’autre rive de la Méditerranée ou du côté de la Manche – dont le seul but est la recherche d’un foyer accueillant.
« He who leaves a trace, leaves a wound » H. Michaux
“Life is never beautiful; only the images of life are beautiful ”A. Schopenhauer
My photographic work is intimately linked to family and the passage of time. Most of my work since 2002 has evolved around filial ties, desire, loss, mourning and the captivity of women. From 2009, I began to work on my family archives, reacquainting myself with them and using interventions such as embroidery, drawing or even writing.
The resulting project, The Lives of Others, is a reflection on my relationship with photography, memory, the status of images and their re-appropriation. The photos I use are mainly from albums of unknown families that I buy at flea markets. The Lives of Others is inspired by my previous series, Souvenir Photos, in which I explore my childhood memory and reconstruct it through embroidery. But this time, I will use photographs bought at a flea market in Jaffa, Israel. When investigating these pictures – dating from the 1940s to 1970s – it transpired that the people in the photos were from Lodz, Munich, Izmir or even Sofia. Photographs carried by immigrants in their suitcases to the Promised Land, like talismans, and which have found their way to me. People who left their countries to find a welcoming home, carrying their family photos with them in their luggage.
This often stemmed from a desire to hold on to the memory of important people and moments, a material need to leave an imprint of oneself on earth and for those who will survive us. Traces that cannot be abandoned on « the battlefield ». These photographs rouse a story shared by many, that of immigration and a constant search for home. Like them, I left my country of birth to go and live elsewhere, hoping for a better life. I settled in the land of freedom and equality. Even more vivid is the tie to the hot topic of recent years in Europe: that of the migrant crisis where men, women and children are fleeing their country at war.
The title of this project is borrowed from the German film by director Florian Henckel Von Donnersmarck, “The Lives of Others”, which speaks of the political and ideological control exercised by the authorities of the GDR over its own population before the fall of the Berlin Wall. I identify with the STASI interrogator, looking for clues of errors in the documents and, like him, I will render another interpretation of the story. I intend to reclaim these visual documents, to save them from the bin. For me, family photos conjure up a sense of loss and déjà vu that I wish to save from oblivion and a second death.
Walter Benjamin demonstrates how the technical reproduction of images, leading to their mass circulation, has introduced a major change in the function of images. The past function of photographs – to fill an absence or embody an absent person – has been modified by their technical reproducibility, and these very images have gradually become instilled with a sort of emptiness. They no longer embody anyone, becoming void of presence and meaning. Their aura has vanished. The images are all alike. Through my work to re-appropriate these pictures, there is a desire to revive photography, to put it back in motion.
To render the singular and specific nature of these images, I will apply a decorative motif – largely inspired by wallpapers – on the background of the photograph, taking care to make the characters stand out as the essential actors in this story. Usually when I want to embroider a print, I first pierce the design on the print to form the outlines to be embroidered. This time, I will not connect the dots with my thread. These little holes in the paper are at once scars and shards of light that bear hope.
I see similarities in the invention of photography and wallpaper, hence my attempt to bring them together here. Wallpaper was invented for aristocrats and wealthy people. Initially, its manufacturing cost was so high that only the most privileged social classes could afford it. Just like photography. For me, the time spent on perforating in preparation for the embroidery stitches on the photograph – a long and tedious task – is a metaphor of self-construction, of the life ordeals to be overcome, and of the time it takes to achieve « that dream of a cozy home with wallpaper ”. I transform the lives of others with a multitude of small holes, breathing life back into these forgotten people, doomed to disappear.
My idea is to create photographic objects from the perforated images. The holes and the light that pierce the photos alter our perception of the images, transforming them into something more poetic and joyful. I believe it is of the essence, today, to create resonance between this project and the hot topic of migrants in Europe, and to talk about the refugees who cross the Mediterranean Sea, fleeing conflict. A Photoshopped image of refugees is inserted in the back and releases coloured bubbles.
I initiate a dialogue among these migrants – those who crossed Europe to reach the southern shores of the Mediterranean or those who have made the reverse journey – all with the single purpose of finding welcoming place to call home.